Le projet de loi « travail » El Khomri, adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture sans vote des députés par le biais de l’article 49-3 de la Constitution, a introduit un amendement qui touche le fonctionnement des réseaux de franchise en liant chaque magasin au réseau dans son ensemble, en créant une instance de dialogue regroupant franchiseur, franchisés et salariés élus.
L’introduction de ces nouvelles dispositions, ayant vocation à améliorer la situation des salariés de ces réseaux notamment par la mise en place d’une représentation dont ils sont, aux yeux du gouvernement, injustement privés, a fait couler beaucoup d’encre. La fédération française de la franchise considère, par exemple, que « la loi El Khomri veut tuer la franchise ».
L’article 29 bis A de la loi El Khomri instituerait un titre XII « Instance de dialogue du réseau de franchise » au sein du Code du travail, aux termes duquel, dès lors qu’un réseau de franchise compterait au moins 50 salariés en cumul dans les franchisés, le franchiseur aurait la charge de la mise en place d’une instance de dialogue.
L’instance de dialogue comprendrait 5 à 9 représentants des salariés élus (le nombre des représentants des salariés élus varierait en fonction de la taille de l’entreprise), un représentant des franchisés et du franchiseur qui présiderait l’instance, pour un mandant de 4 ans à hauteur de 20 heures par mois. L’instance se réunirait au moins 4 fois par an.
L’instance de dialogue serait informée trimestriellement de l’activité, de la situation économique et financière, de l’évolution et des prévisions d’emploi annuelles ou pluriannuelles et des actions éventuelles de prévention envisagées compte tenu de ces prévisions, de la politique sociale et des conditions de travail de l’ensemble du réseau.
L’instance devrait être informée des décisions concernant l’organisation, la gestion et la marche générale du réseau de franchise, notamment les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle. Elle serait également informée des entreprises entrant dans le réseau et sortant du réseau.
Les entreprises du réseau informeraient régulièrement l’instance de dialogue des emplois disponibles en leur sein. L’instance mettrait en place une information pour les salariés du réseau.
Lorsque le franchiseur ou un franchisé du réseau envisagerait de licencier pour motif économique, son obligation de reclassement s’exécuterait également dans le cadre du réseau.
Quant au licenciement d’un salarié membre de l’instance de dialogue ou d’un salarié ayant siégé dans cette instance et dont le mandat a expiré il y a moins de 6 mois, celui-ci ne pourrait intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail.
Chaque organisation syndicale représentative dans le réseau de franchise d’au moins cinquante salariés pourrait désigner un délégué syndical pour la représenter auprès des employeurs du réseau. Un deuxième délégué syndical pourrait être désigné dans les réseaux de plus de mille salariés.
Une convention ou accord de réseau de franchise serait négocié(e) et conclu(e) entre le franchiseur, les franchisés (individuellement ou regroupés) qui compteraient un certain pourcentage des salariés du réseau, et les organisations syndicales de salariés reconnues représentatives dans le réseau.
Pour les détracteurs du projet de loi, cet amendement met en péril le principe d’indépendance juridique entre franchiseur et franchisé, qui est l’essence même du contrat de franchise.
En effet, tout l’intérêt de la franchise réside dans sa souplesse, dans la possibilité de créer une entreprise en profitant d’un concept éprouvé, d’un savoir-faire, et d’une marque. Ainsi, le franchisé est un chef d’entreprise indépendant, et l’introduction des nouvelles dispositions relatives à la franchise dans la loi travail, notamment l’introduction de normes sociales communes à tous les franchisés, inquiètent fortement en ce qu’elles mettraient en place un système lourd et complexe.
Par ailleurs, la mise en place de telles instances de dialogue présenterait un coût conséquent. En effet, le franchiseur assumerait seul tous les frais de fonctionnement du comité, dont les dépenses de transport ou autres des représentants des franchisés. De plus, si le représentant élu était un salarié d’une petite entreprise franchisée, le franchisé devrait permettre à son salarié d’être disponible au moins 20 heures par mois pour sa fonction, ce qui ne peut que pénaliser les petites entreprises franchisées.
Enfin, les difficultés pratiques liées au rassemblement des données financières et des prévisions d’emplois dans des structures juridiquement indépendantes ne seraient pas négligeables.
Partant de là, le réseau de franchise tendrait vers une seule entreprise, alors que le principe même de la franchise est que le franchisé soit libre de sa propre politique sociale et des conditions de travail de ses salariés. Le lien que mettrait en place cette réforme, entre franchiseur et salariés des franchisés, affaiblirait de manière considérable l’essence même de la franchise, à savoir l’indépendance tant économique que juridique du franchisé et tendrait à rapprocher le statut du franchisé de celui de succursale. Il pourrait même inciter les juges à reconnaître plus souvent l’immixtion du franchiseur vis-à-vis de son franchisé, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela pourrait entraîner pour le franchiseur.
La lourdeur administrative et la rigidité de ces nouvelles dispositions pourraient certainement décourager nombre d’entrepreneurs de choisir le système de la franchise, de même qu’elles pourraient inciter les têtes de réseaux à tout mettre en œuvre pour éviter l’atteinte du seuil de 50 salariés, ce qui limiterait nécessairement le développement de leur réseau.
Les effets d’une telle règlementation sur un modèle économique en plein essor ont-ils été suffisamment mesurés ? A-t-elle été bien réfléchie ? C’est aujourd’hui à l'Assemblée Nationale de statuer.